Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de irene.autour-de-la-naissance
  • : échanger des vécus, des expériences autour de la grossesse, la naissance, l'allaitement, l'accompagnement haptonomique
  • Contact

Texte Libre

Recherche

Archives

7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 14:00

un billet de Sophie la sage-femme: 

L’AFRIQUE ET LE MINISTÈRE

Récemment, alors que la grève des sages-femmes s’éternise ChezNous…

("On s’en fout et et qu’est-ce que ça a comme rapport avec ce blog?", vous demandez-vous. Aucun, c’est vrai, et mon ulcère va mieux que l’ambiance pourrie, finalement. Mais si, ça a à voir, en fait, patience!)

Il a suffit d’un tweet de l’Anesf (Assocition Nationale des Étudiants Sages-Femmes) pendant une réunion du groupe de travail, réunissant les représentants d’organisations syndicales, de sages-femmes et de gynécologues-obstétriciens au Ministère de la Santé. Ça causait des futures potentielles unités physiologiques. Une unité physiologique ça serait un endroit pour accoucher tranquille avec une sage-femme, si c’est possible et le projet, un truc de dingue jamais expérimenté avec succès ailleurs dans le monde, quoi.

Ça aurait pu juste mériter un cri grand primal vite suivi d’un nuancé "mais bordel qui est le plouc racisto-colonialiste à papa condescendant de mon cul qui a dit ça?" Et pas dans une salle de garde où parfois pour se taper sur l’épaule avec raffinement ça ne vole pas haut. Dans un groupe de travail ministériel, la classe à Damas. Le droit de jouer le pèquenaud de service est inaliénable, certes. Et si ça se trouve c’était juste une provocation mi-corporatiste, mi-plouc, mi-démagogique. Ça dépend de la taille des moitiés, sûrement.

Mais cette histoire de "on est pas en Afrique ici hein", pour résumer, revient régulièrement. C’est d’ailleurs revenu sur d’autres réseaux sociaux, toujours au cours de la grève des sages-femmes, et avec la même finesse. Une espèce d’obsession. La parturiente africaine doit abuser trop souvent à casser les prix de l’accouchement pour qu’on lui en veuille aussi régulièrement, ou le désert avance je ne sais pas. (pardon pour la référence musicale pourrie, je vais la mettre quand-même)

Je ne sais pas non plus à combien d’accouchements a assisté DocteurAvenir en Afrique. Ce tout petit pays uniforme où tout le monde vit dans les mêmes conditions et fait tout pareil, vous pensez bien. Commencez pas à tout compliquer la réunion au ministère avec votre mauvais esprit! DocteurAvenir a l’air d’avoir bien bossé son dossier "EBM, accouchement physiologique et recommandations internationales en santé reproductive", et il a dû trouver un truc d’expertise en physiologie obstétricale spécifiquement africain. Faut pas manquer son coup chez la Ministre, vous n’y connaissez rien, vous, bandes de sous-diplômés!

Je ne suis pas sûre que ses conclusions élaborées et sa vision humaniste débordante lui fasse passer la sélection pour partir en mission, avec son billet d’avion pour l’Afrique (ohmondieumondieumondieu), et je suis allée dans moins de pays d’Afrique que les doigts des mains, et pourtant…

Et pourtant j’ai vu des femmes ravies, atterrées, indifférentes, perdues, affolées, surprises, blasées en apprenant leur grossesse. La troisième, comme la première, comme la cinquième, comme celle qui ne vient pas, de grossesse.

J’ai vu des femmes évoluer pendant leur grossesse, changer, accepter, se préparer.

J’ai vu des regards désespérés pendant le travail qui dure désespérément longtemps, des visages douloureux quand ça fait trop mal et des regards apeurés quand ça fait encore plus peur que mal en fait. Et que ça faisait déjà tellement mal donc ça fait trop que ça fasse peur en plus.

J’ai vu des femmes étonnées que ça aille si vite, qui n’avaient pas le temps de penser que ça aurait été plus facile si ça c’était allé moins vite.

J’ai vu des femmes qui partaient à la dérive dans leur tempête se raccrocher à mon regard, ma main, mes cris mots.

J’ai vu le regain d’énergie quand ça avance vraiment, quand ça va être bientôt fini, quand ça ne fait pas moins mal mais comme maintenant c’est un peu moins désespérant ça fait suffisamment moins peur pour pousser.

J’ai vu des accouchements où on entendait les mouches (plein) voler et d’autres dont on en ressort avec des acouphènes tellement les cris étaient forts.

J’ai entendu des gémissements, plus ou moins retenus, et aussi des rugissements soudain différents qui voulaient dire "putain, mais vite, des gants!".

J’ai vu des accouchements les pieds bien sagement dans les étriers, et d’autres avec des pieds qui volent dans tous les sens mais surtout à pleine vitesse et en plein dans le nez.

J’ai vu des femmes qui avaient besoin de temps pour réaliser que c’était terminé avant de réaliser que leur petit était vraiment né.

J’ai vu des femmes retournées, indifférentes, à côté, émues, malheureuses ou heureuses que leur bébé soit né. Et celles qui semblaient indifférentes ça m’a pris un putain de temps pour comprendre que c’était moi qui était à côté, ou retournée, enfin bref.

Du coup, DocteurAvenir, je ne vois pas trop ce qui diffère de chez nous. Enfin à part les mouches, peut-être? Mais même avec des sages-femmes à la tête d’unités physiologiques dans les hôpitaux ChezNous ça ne devrait pas faire multiplier des mouches, je crois.

Ah oui et ce que j’ai vu de très très différent, je ne vois pas trop le rapport avec les sages-femmes et que ChezNous soudain ça serait comme en Afrique. Tu vois toujours pas, DocteurAvenir? Sérieux?

Des femmes qui ne bouffent rien parce qu’elles donnent tout à leur marmaille?Des femmes qui se vident parce que tout le personnel de l’hôpital est parti? Des femmes qui ne pourront pas rassembler les 25 euros pour payer la césarienne avec leur utérus tricicatriciel?  Celles dont on n’a pas diagnostiqué la grossesse gémellaire, une présentation dystocique ou un placenta praevia faute de possibilité d’échographie?

Des femmes qui meurent de leur palu cérébral parce que le budget a servi à autre chose ou il n’y a pas les sous de toute façon? Des femmes qui n’auraient pas de fistule si elles avaient accouché avec une sage-femme diplômée? Tu sais, les programmes financés par l’OMS. Ah mais je sais que l’OMS c’est bien pour les pays africains et pas ChezNous, à chaque fois j’oublie. On ne fait pas du low cost, ChezNous, c’est risqué pour la sécurité des femmes,  j’ai vu tu as tout bien expliqué, c’est bien fichu. Et puis comme tu dis, les femmes ont aussi un cerveau. J’espère que si tu penses qu’elles ont un cerveau,ChezNous, mais qu’on n’est pas en Afrique, tu…tu… Euh, non hein?

Mais la prochaine fois qu’en Afrique les sages-femmes se démerdent toutes seules parce que contrairement à chez nous des gynécologues-obstétriciens au PaysDesRêves il ne sont pas très nombreux, vu qu’ils sont un, tu veux qu’elles t’envoient une carte postale avec le partogramme? Comme ça tu pourras écrire à l’OMS de l’Afrique, ta secrétaire te trouvera l’adresse va, pour leur expliquer ce qu’elles ont fait de travers?

Des femmes qui meurent (ouais je sais tout le monde meurt dans mes billets) de leur rupture utérine au fond de leur camp de réfugiés sans accès à des soins vitaux? Ou celle qui somnole sur son lit-choléra avant de re-vomir? Ou celle qui pousse son foetus mort in utero depuis plusieurs semaines, pour laquelle tu te demandes bien tout seul comment tu vas faire? Comme tu es allé en Afrique DocteurAvenir tu l’as forcément rencontrée, elle. Si on était de garde ensemble on se ferait pas mal de souci pour son hémostase, surtout sans laboratoire. Ou la femme qui arrive dégoulinant de son dernier viol d’il y a une heure, le 5ème? Ou celle avec ses deux éclats d’obus où tu cherches comme un con avec ta lampe torche si c’est bien du liquide amniotique qui dilue le sang qui sort par le point d’entrée?

Quand tu auras trouvé ce qui parmi ça va se produire en masse dans une maternité française si les sages-femmes deviennent plus autonomes dans leur pratique de l’accouchement physiologique de femmes en bonne santé après une grossesse normale et un travail eutocique, tu m’écriras, dis? J’ai tellement hâte de discuter de tout ça avec toi. Et si tu penses que ça ne risque pas d’arriver dans un avenir proche dans une maternité française, imaginons , soyons fous, tu en diras deux mots au Ministère?

Bons baisers de l’Afrique où je passe de bonnes vacances, faut que je te laisse c’est l’heure du goûter.

Partager cet article
Repost0

commentaires