Pas trop le temps d'écrire en ce moment, comme vous pouvez le constater!
je vois des couples merveilleux, des bébés sublimes...et suis en train de préparer notre intervention de sages-femmes pour le Congrès International d'Haptonomie des 19 et 20 mars! Bien sûr, je vous tiendrai au courant...
En attendant, et parce que cette question revient beaucoup dans les témoignages de ce que les femmes vivent durant leur grossesse et leur accouchement, voici un texte de la juriste "Marie accouche là" Bonne lecture et bons commentaires!
Qu’est-ce que la violence obstétricale ?
Posted: 09 Mar 2016 05:38 AM PST
« Comment définir la violence obstétricale ? » est une question qui m’est régulièrement posée. J’ai donc décidé de vous livrer l’état de mes réflexions sur cette violence particulière qui a lieu pendant la grossesse et l’accouchement.
La violence obstétricale est l’addition de deux types de violences : la violence institutionnelle et les violences basées sur le genre.
De nombreux auteurs ont décortiqué la violence institutionnelle produite dans les institutions de soin, d’éducation ou de rééducation, telles que les hôpitaux, les homes pour personnes âgées ou pour enfants ou encore les lieux d’accueil pour les personnes handicapées. Toute institution a tendance à fabriquer de la violence, notamment par la mise en place de procédures, de gestes techniques et d’organisation du service, qui surplombent voire annihilent les besoins fondamentaux des personnes qui y sont prises en charge. Il s’agit non seulement de violence physique ou verbale telles que la brutalité, la coercition et l’humiliation, mais également de « violence silencieuse », celle qui nie la personne, rend aveugle aux signaux de l’autre, procède à sa néantisation la plus totale.
La violence de genre, quant à elle, est un phénomène massif et spécifique qui touche les femmes parce qu’elles sont femmes. Elle est issue de rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes, lesquels ont abouti à la domination et à la discrimination exercées par les premiers envers les secondes. Elle s’appuie également sur les stéréotypes de genre qui assignent des caractéristiques physiques et mentales différentes selon les sexes, justifiant un rôle prédéfini dans la société pour les hommes et pour les femmes. Il s’agit par exemple de l’idée que les hommes seraient forts, rationnels et responsables, tandis que les femmes seraient faibles, intuitives et futiles. L’organisation sociale s’appuyant sur ces stéréotypes crée une hiérarchie entre les rôles masculins et féminins, et permet notamment aux hommes de s’approprier les capacités productives et reproductives des femmes. La violence obstétricale qui s’exerce à ce moment précis qu’est la grossesse et l’accouchement, s’inscrit pleinement dans cette appropriation du corps et des capacités reproductives féminines. La pathologisation de phénomènes physiologiques normaux que sont la grossesse et l’accouchement est un moyen de soumettre les femmes aux médecins, et donc assurer un contrôle sociétal très puissant sur leur corps au moment où elles exercent leur capacité de reproduction.
La violence obstétricale, un concept né en Amérique latine
Le concept de violence obstétricale est apparu en Amérique latine, semble-t-il au début des années 2000. Une série de travaux scientifiques couplés à des démarches militantes ont mis en lumière les différentes formes de maltraitances que subissaient les femmes dans les maternités, et ont conduit le Venezuela, puis l’Argentine, à inscrire la violence obstétricale parmi les infractions pénales.
En 2007, le Venezuela a adopté la toute première loi de lutte contre les violences faites aux femmes dans laquelle figure la violence obstétricale qui est définie comme « l’appropriation du corps et du processus reproducteur des femmes par les personnes qui travaillent dans le domaine de la santé, appropriation qui se manifeste sous les formes suivantes : traitement déshumanisé, abus d’administration de médicaments et conversion de processus naturels en processus pathologiques. Cela entraîne pour les femmes une perte d’autonomie et de la capacité à décider en toute liberté de ce qui concerne leur propre corps et sexualité, affectant négativement leur qualité de vie ».
En 2009, l’Argentine s’est à son tour dotée d’une telle loi définissant la violence obstétricale comme « celle qu’exerce le personnel de santé sur le corps et les processus de reproduction des femmes, un traitement déshumanisé, l'abus de la médicalisation et la pathologisation des processus naturels ».
Dans les années suivantes, le terme de « violence obstétricale » s’est répandu dans le monde anglo-saxon et francophone. Bien qu’aucun autre État n’ait adopté une loi punissant la violence obstétricale, ce concept fait aujourd’hui l’objet de plus en plus d’études académiques et scientifiques.
Ma définition de la violence obstétricale
En tant que juriste, je considère que les définitions sud-américaines sont intéressantes, mais néanmoins difficilement applicables puisqu’elles appellent elles-mêmes des définitions supplémentaires. En effet, sur base de quels critères objectifs peut-on déterminer si un traitement est « déshumanisé » ? A partir de combien d’actes techniques considère-t-on qu’il y a « abus de médicalisation » ? Comment quantifier une « perte d’autonomie » de la parturiente ?
J’ai dès lors choisi de définir la violence obstétricale comme:
« tout comportement, acte, omission ou abstention commis par le personnel de santé, qui n'est pas justifié médicalement et/ou qui est effectué sans le consentement libre et éclairé de la femme enceinte ou de la parturiente. »
Cette définition contient quatre éléments constitutifs:
1. « tout comportement, acte, omission ou abstention » : cette énumération couvre l’ensemble des événements qui peuvent se produire dans une maternité ou lors d'une consultation. Il ne s'agit pas uniquement d'actes posés, mais aussi de l'attitude du personnel soignant, les mots déplacés qu’il utilise, le manque de respect, l'infantilisation de la femme, la violence psychologique en général. S’ajoutent l'omission et l'abstention qui visent l'absence de réaction ou d'acte face à une demande la parturiente, la négation de son ressenti, la non prise en compte de sa douleur ou de ses besoins ou souhaits particuliers.
2. « commis par le personnel de santé » : ces termes visent l'ensemble du personnel, donc pas seulement les obstétriciens, mais également les sages-femmes, médecins, infirmiers, pédiatre, anesthésistes, aides-soignants, etc.
3. « pas justifié médicalement » : il s'agit d'une référence à l'evidence based medecine (EBM), la médecine basée sur des preuves scientifiques, c’est à dire l'utilisation consciencieuse et judicieuse des meilleures données (preuves) actuelles de la recherche clinique dans la prise en charge personnalisée de chaque patient. Ces données proviennent d'études cliniques systématiques, telles que des essais contrôlés randomisés, des méta-analyses, éventuellement des études transversales ou de suivi bien construites. L'EBM est relativement récente dans notre médecine puisqu'elle date de la fin des années 90. Néanmoins, après plus de quinze ans d’existence, il est urgent qu'elle soit intégrée dans toutes les disciplines médicales, y compris en obstétrique. Cette référence à l'EBM permet donc de considérer que tout acte justifié non pas par des données scientifiques mais par des propos de type « c'est ce qu'on m'a appris pendant mes études », « c'est le protocole », « c'est pour faciliter l'organisation du service », « ça permet au gynécologue d'être plus confortablement installé, mieux voir ou mieux contrôler la situation », « ici, on ne prend aucun risque » tombe dans la définition de la violence obstétricale.
4. « le consentement libre et éclairé de la parturiente » : ces mots renvoient à la loi Kouchner. Toute atteinte au corps sans le consentement de la personne est une violence. Quand cette atteinte est faite au sexe, il s'agit même d'une agression sexuelle, voire d'un viol. Les termes « libre et éclairé » impliquent une information préalable de la part du professionnel, un dialogue entre le médecin et la future mère, un échange d'information pour que la parturiente puisse donner son consentement de façon lucide, et l'absence de toute pression, menace et autre procédé afin que le consentement soit libre.
J'ajoute « et/ou » dans la définition afin de couvrir l'ensemble des situations, notamment celle où un acte médicalement nécessaire est posé sans le consentement de la parturiente, ou un acte médicalement non nécessaire mais souhaité par la future mère lui est refusé.
Trucs et astuces pour identifier la violence obstétricale
Plus concrètement, pour déterminer si une situation relève de la violence obstétricale, je propose un truc très simple: transposer un acte qui a lieu dans une salle d’accouchement en dehors du contexte hospitalier. Si, dans la vie quotidienne, cet acte présente une forme de violence, il s'agit de violence obstétricale lorsqu'il est posé au moment d’un accouchement.
En voici quelques exemples.
Vous marchez dans la rue, quelqu'un s'approche de vous, vous fait une piqûre et vous injecte un produit. Il s'agit clairement de violence. Le fait que cette personne se fonde en justifications sur le mode « je suis médecin, je vois que vous n'allez pas bien, c'est pour vous soigner » ne change rien à la violence de la situation, puisque vous n’avez émis aucun consentement et vous ne savez même pas ce que contient la seringue. Dès lors, faire une injection d'ocytocine à une parturiente sans lui avoir expliqué l'intérêt du produit, ses avantages et ses inconvénients, et sans lui demander son accord préalable, est une situation de violence obstétricale.
Lorsqu’il fait 40°C, que vous avez extrêmement soif et que vous demandez un verre d'eau qui vous est refusé malgré vos supplications pendant des heures, c'est de la violence. Si cette situation se produit dans une salle d'accouchement, c’est de la violence obstétricale.
Dans certaines prisons, les femmes sont attachées à leur lit pendant qu'elles accouchent, ce qui constitue une autre forme de violence. Lorsqu’une femme est attachée à une table gynécologique alors qu’elle met son enfant au monde, il s’agit de violence obstétricale.
Forcer une personne à se maintenir dans une position inconfortable et douloureuse est de la violence. Donc imposer l’immobilité et la position gynécologique à une parturiente est une violence obstétricale.
Vous vous promenez dans la rue avec votre bébé, et on vous l'arrache pour le confier à un inconnu qui disparait avec lui, puis on refuse de vous le rendre pendant des heures. C'est de la violence. Un même geste pratiqué dans une salle d'accouchement est de la violence obstétricale.
Vous êtes installée à la terrasse d'un café, un quidam soulève votre robe et introduit deux doigts dans votre vagin. C'est de la violence sexuelle. Donc un toucher vaginal non consenti est de la violence obstétricale. Juridiquement, il s'agit même d'un viol.
La violence obstétricale est (malheureusement) la norme
Tous ces exemples sont d’une grande banalité dans la plupart des maternités. La violence obstétricale est en réalité la norme dans l'écrasante majorité des hôpitaux, tant les soignants font primer les protocoles sur l’accompagnement bienveillant des futures mères, voire sur les notions élémentaires de bon sens ou de politesse dans les rapports humains.
De nombreux témoignages font même état de violences supplémentaires, notamment d'actes douloureux infligés aux femmes tantôt volontairement, tantôt par exaspération ou fatigue du personnel hospitalier. Il s'agit notamment de césariennes à vif ou effectuées sans tenir compte d’un défaut de l’anesthésie, de révision utérine sans anesthésie générale ou de mutilation sexuelle telle que l’épisiotomie. Ces faits présentent une gravité encore plus grande que la violence obstétricale, en tombant dans la catégorie d’actes de torture ou de barbarie.
La violence obstétricale constitue une atteinte à l’intégrité physique et psychique des futures mères. Elle doit pleinement être reconnue parmi les violences faites aux femmes. Il est dès lors indispensable de mobiliser les moyens de lutte pour l’éradiquer et changer de font en comble la façon dont les femmes sont (mal)traitées lorsqu’elles mettent leurs enfants au monde. En ce début du XXIème siècle, le respect des femmes qui sous-tend notre société égalitaire doit être mis en œuvre partout, dans toutes les sphères de la société. Y compris dans les hôpitaux.
Sara Cohen Shabot, « Making Loud Bodies “Feminine”: A Feminist-Phenomenological Analysis of Obstetric Violence », Human Studies, A Journal for Philosophy and the Social Sciences, 9 octobre 2015.