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29 mars 2010 1 29 /03 /mars /2010 16:43

Comme promis, je vous adresse la réponse constructive d'une amie sage-femme:
Vous voyez, nous avons toutes et tous un rôle à jouer et c'est par des petits gestes, petites actions que nous pouvons, chacune et chacun, tous ensemble, changer les choses...



Chère collègue,

 

Vous lire n’est pas réjouissant , même si je ne doute pas un instant de la véracité de vos dires. Certes la « souffrance » des sages-femmes est importante, comme celle d’autres soignants (médecins, infirmières, aides-soignants..). Elles ne sont pas seules à souffrir actuellement : d’ailleurs le Médiateur de la République a indiqué récemment dans son rapport que la France connaît un état de « tension psychique ».

 

La souffrance des sages-femmes n’est pas le fait du hasard. C’est le résultat de plusieurs éléments délétères qui agissent depuis vingt ans :

  • d’abord une politique d'État largement cautionnée par certains grands patrons obstétriciens très écoutés des différents gouvernements (Professeurs Lévy, Sureau, Papiernik et d’autres). Cette politique d'État, quelque soit la couleur gouvernementale, sous prétexte d’économies de santé et de conditions de sécurité de la naissance, a promu depuis 20 ans la fermeture de lits d’obstétrique (et aujourd’hui de lits chirurgicaux !). Certaines fermetures étaient sans doute nécessaires , mais à ce point ! Des obstétriciens et des sages-femmes se sont élevés contre ces fermetures , et ont créé le Comité de défense des hôpitaux et maternités de proximité. Mais les décisions de l'État ont eu plus de poids. Vous évoquez le travail pénible et le stress des collègues dans beaucoup d’établissements aujourd’hui. Je m’interroge alors : où est l’amélioration de la sécurité des patientes et de leurs bébés, à l’heure des décrets et des plans de périnatalité ? Les femmes accouchent dans de très grosses structures, où ,on le sait, la relation humaine est plus anonyme, la prise en charge plus morcelée, la pathologie iatrogène plus présente. Dans de nombreuses villes il n’y a plus que deux, voire un seul établissement. Pas d’ouverture à la concurrence en ce domaine !

  • L’autre élément important a été le silence de beaucoup de collègues sages-femmes durant ces vingt dernières années. Par ce silence, elles ont cautionné la « pathologisation » de la naissance, imposées par certains médecins obstétriciens, et participé à sa médicalisation excessive.

 

Je m’explique, en retraçant rapidement l’histoire récente de l’obstétrique à travers ma propre carrière, que je viens d’achever.

Diplômée de l’école de Caen en 1976, j’ai donc connu un temps où les études se déroulaient dans la joie, en trois années bien remplies ; j’ai beaucoup ri avec mes collègues élèves sages-femmes, même si les rythmes de travail étaient durs.

Après avoir travaillé deux ans au CHU de Caen, j’ai choisi en 1978 de quitter ce type d’établissement – ce que l’on appellera plus tard des « usines à bébés » – pour une petite maternité (15 lits) en l’occurrence Bernay dans l’Eure. Là, j’ai exercé notre merveilleux métier avec un grand bonheur. Nous avions alors la chance d’être autonomes, d’accompagner la physiologie de la naissance, tout en ayant des obstétriciens à nos côtés.

Mais peu à peu les choses ont changé et la formation des obstétriciens aussi.

 

Pour ma part je n’ai pas cessé dans ma carrière de rechercher cette autonomie, et de défendre l’existence des « maternités de proximité » (curieuse appellation d’ailleurs ; les autres sont-elles d’éloignement ?) où la relation humaine garde toute sa place. Je n’ai pas cessé non plus de défendre notre statut médical, qui ne passe pas seulement par un niveau d’études , mais aussi par la capacité à savoir dire « NON » ! J’ai connu un temps , dans les années 1990 où les obstétricien(-ne)s déclenchaient les patientes à 38 semaines, au prétexte que le risque de mort fœtale augmentait en approchant du terme !

C’était à ce moment là que les sages-femmes, affirmant leur statut médical, auraient dû dire ensemble «  non, nous sommes sages-femmes, nous accompagnons la physiologie, nous ne déclencherons pas les patientes sans notion avérée de pathologie ». Certaines l’ont fait ; je l’ai fait. Nous nous faisions taper sur les doigts. Une obstétricienne m’a dit un jour : « tu iras faire accoucher les femmes dans une clairière » ! Une de mes amies sage-femme, qui exerçait au centre hospitalier d'Evreux a été priée de quitter cet établissement.

Ce sont les mêmes propos dévalorisants que l’on tient aux écologistes quand on leur dit : « vous voulez revenir à la bougie ». Ridicules, faux et blessants.

 

J’ai choisi alors une installation en libérale, de manière très militante, pour accompagner globalement les parturientes. Cette forme d’exercice était alors regardée de travers par les collègues hospitalières. Farida Hammani, libérale elle aussi, se donnait le titre de « Dinosaure » . Exercice difficile, et le militantisme isolé n’est pas payant, au propre comme au figuré, dans ce domaine comme dans d’autres. J’ai donc fermé mon cabinet en 1994.

Après un détour pour effectuer une année de formation de puéricultrice, j’ai travaillé dans un établissement privé, clinique gynéco-obstétricale, qui a fermé quelques années après. A ce moment là nous n’avons eu aucun soutien des collègues du Centre Hospitalier de la ville, ne serait-ce qu’un message de confraternité. Oserais-je dire qu’elles étaient satisfaites de voir cette clinique fermer, car ainsi elles allaient faire un meilleur chiffre !! Vous me trouverez dure peut être, je me pense réaliste. Le corps des sages-femmes, contrairement à celui des médecins, n’est pas solidaire.

Enfin j’ai eu la chance d’exercer la fonction d’encadrement dans deux maternités de proximité( L’Aigle et Bernay), où là j’ai pu continuer à défendre une « certaine idée de la naissance ». Pas toujours facile , mais possible avec des collègues sages-femmes heureuses d’exercer dans ces services et des chefs de services à l’écoute . Cela existe encore , mais pour combien de temps ?

 

Bref , ce rapide « coup de projecteur » pour tenter de démontrer que pour gagner il faut être nombreux, combatifs et solidaires. Vous trouverez peut être que ce langage est militant. Effectivement il l’est, car pour moi une société qui néglige la naissance est une société malade.

Les sages-femmes se sont unies en 2001 pour revendiquer de meilleurs salaires. Pourquoi ne pas s’unir aujourd’hui pour revendiquer de meilleures conditions de travail et donc de meilleures conditions de naissance ?

Mais que faire aujourd’hui ? Les « usines à bébés » existent bel et bien, et les gouvernants actuels ne reviendront pas en arrière à ce sujet. Ils ont déjà beaucoup de mal à mettre en place des « maisons de naissances »( des vraies ! pas des Canada dry !). Par contre, pourquoi ne pas proposer dans chaque grand établissement le fonctionnement en unités autonomes, pour retrouver une échelle satisfaisante de travail  et exiger que l’accompagnement de la physiologie soit inscrite dans le projet médical d’établissement? Les sages-femmes siègent à la CME avec voix délibérative pour l’obstétrique et il existe normalement des conseils de service. Regroupées et unies, vous pouvez y donner votre avis.

Promouvoir l’installation en libérale, la prise en charge globale des patientes ? Possible, mais cela reste difficile, d’autant que la naissance à domicile est toujours décriée en France, et que les assureurs ne veulent plus assurer les praticiens pour ce geste. Le Conseil de l’Ordre des sages-femmes veille ! Et l’accès au plateau technique ne peut pas se faire partout.

Une lueur d’espoir cependant : les jeunes femmes et leurs compagnons se réveillent et veulent, pour certains , d’autres formes d’accompagnement. Les professionnels rouspètent un peu : «  ah ! encore une avec un projet de naissance ». mais souvent ces couples, même si leurs demandes semblent parfois excessives, connaissent et reconnaissent la compétence des sages-femmes. Ils peuvent nous aider à retrouver notre vraie place dans l’accompagnement de la naissance et obliger les instances à y réfléchir.

C’est vous qui avez les clés du futur.

Bon courage à toutes et à tous !

 

 

Edith Buffet

Sage-femme puéricultrice





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